M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, je souhaite en préambule vous remercier pour votre participation active à la soirée de rentrée d’hier soir qui a atteint ses objectifs : saluer ceux qui s’engagent pour notre défense et développer les synergies entre le plus grand nombre possible de personnes. De manière plus concrète, il s’agissait pour nous de dresser le bilan de la stratégie fixée pour l’année écoulée et de nous projeter ensemble vers l’avenir.
L’avenir à court terme concerne bien entendu le projet de loi de finances (PLF) 2024. Mon général, nous sommes ravis de vous accueillir à nouveau dans cette commission pour poursuivre notre cycle d’audition au sujet de ce PLF. Vous avez constaté que la salle qui héberge notre commission rend hommage aux hommes et aux femmes que vous commandez au travers des différentes photos qui y sont exposées.
Le budget de la mission défense 2024 est conforme à la loi de programmation militaire (LPM) votée en en juillet dernier et bénéficie d’une augmentation de 3,3 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI) 2023. Mon général, au-delà de ces chiffres importants, nous souhaiterions que vous nous éclairiez sur l’évolution des menaces et du contexte stratégique par rapport aux exigences des contrats opérationnels. Comment ce budget permet-il de répondre à l’ambition exprimée par le Président de la République de permettre à nos armées d’avoir une guerre d’avance ? Comment opère-t-il d’éventuels arbitrages entre la cohérence, la rusticité, la rupture technologique, le maintien en condition opérationnelle (MCO), la préparation des armes et le durcissement de nos armées ?
Au cours de l’examen de la LPM, il a été souvent question de la transformation des armées et nous souhaiterions également savoir comment vous pouvez utiliser l’outil budgétaire pour progresser vers les mutations évoquées par le Président de la République le 13 juillet dernier, après le vote de la LPM. Enfin, quels sont les chantiers en cours ?
M. le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées. Je suis bien évidemment très heureux d’être parmi vous aujourd’hui pour faire un point sur ce PLF 2024, dont il faut retenir trois caractéristiques. La première concerne son montant important : 47,2 milliards d’euros, soit 3,3 milliards d’euros supplémentaires par rapport à 2023. Il exige que les armées soient à la hauteur de l’effort fourni par la nation pour se protéger face aux menaces. Deuxièmement, ce budget est en hausse pour la septième année consécutive, ce qui constitue un signal à la fois très clair et cohérent face à la dégradation du contexte stratégique. Enfin, il s’agira de la première année de la LPM, qui traduit bien l’accélération de la construction du modèle français de défense, un modèle autonome, souverain, mais aussi complet.
Ce modèle complet nous distingue des autres armées européennes qui ne portent pas les mêmes responsabilités et n’ont pas opéré les mêmes choix. Il nous permet par exemple de conduire dans des délais extrêmement brefs des opérations comme SAGITTAIRE, qu’aucune autre armée européenne n’est véritablement capable de mener.
Comme le Président de la République l’a souligné, notre objectif vise à nous positionner comme « une armée de référence en Europe », pour « la France hexagonale, mais aussi d’outre-mer », dimension qu’il ne faut pas oublier. Il importe donc d’aller au-delà des chiffres : l’enjeu consiste bien à se transformer face aux menaces, qui évoluent également. Nous sommes ainsi confrontés à un vaste spectre de menaces durables comprenant d’abord une nouvelle prolifération nucléaire et la dissémination d’armes de rupture, qui posent de vrais dilemmes. Nous devons également être prêts à faire face à des affrontements de haute intensité contre un État-puissance et des armées qui auraient des capacités équivalentes aux nôtres. Ensuite, bien évidemment, le terrorisme ne va pas disparaître. Des groupes chercheront à profiter du chaos tel qu’il existe aujourd’hui, non seulement dans le champ physique, mais aussi dans le champ cyber, par exemple. Nous devons en outre être en mesure de faire face ou, à tout le moins, de gérer très en amont et le plus profondément possible des crises plus ou moins liées au changement climatique, lequel produit des effets sur la sécurité. Il convient par ailleurs de mentionner la lutte informationnelle, dont nous éprouvons la présence tous les jours. Celle-ci se transforme et je pense que l’intelligence artificielle (IA) générative nous prépare un nouveau choc. Nous devons nous y préparer.
Tels sont les principaux enjeux du positionnement de la LPM et du PLF 2024.
M. le président Thomas Gassilloud. Je cède à présent la parole aux orateurs de groupe.
Mme Anne Genetet (RE). Général, je vous remercie pour votre propos liminaire, qui permet de bien cerner le sujet. Le 5 octobre dernier, devant notre commission, vous annonciez les trois lignes de force de la stratégie que vous élaboriez alors pour construire l’armée dont la France a besoin. Vous parliez ainsi de cohésion nationale, de solidarité stratégique et de crédibilité opérationnelle, autant de lignes autour desquelles s’était construite notamment la LPM.
Je me permets d’ailleurs de rappeler ici que notre majorité avait stoppé dès 2017 la baisse des budgets militaires. Vous l’avez souligné, il s’agit ainsi de la septième année consécutive de hausse du budget et des moyens que nous vous attribuons. Désormais, la mission défense voit son budget augmenter de 3,3 milliards d’euros, nous permettant ainsi de consolider notre supériorité opérationnelle. Nous assurons la cohérence des différentes composantes d’une armée d’emploi, et vous avez d’ailleurs souligné la différence qui existe par rapport à d’autres armées, notamment européennes.
Le ministre des armées a insisté, hier, devant notre commission, sur les deux volets de la LPM, loi de transformation, certes, mais aussi de réparation. Je voudrais insister sur cette notion de réparation, en portant ma question sur le service de santé des armées. Un rapport de la Cour des comptes publié le 2 octobre dernier a donné une alerte sur la capacité de notre service de santé des armées (SSA) à honorer son contrat opérationnel au profit des forces armées. Lors de la présentation du plan Ambition 2030, vous vous étiez exprimé dans un éditorial du magazine Actu santé en mars 2022, où vous aviez réaffirmé votre volonté de disposer d’une chaîne santé complète.
Vous aviez ainsi rappelé que notre SSA est placé au cœur de nos armées, au plus près des combats, au cœur de tous les engagements ; qu’il doit être un partenaire incontournable des plans d’urgence et au sommet de l’expertise médicale. Pourriez-vous nous informer sur le renforcement des moyens que ce PLF va injecter dans le SSA ?
M. le général Thierry Burkhard. Une somme de 1,7 milliard d’euros sera consacrée au SSA. Elle répond au besoin essentiel pour les armées d’avoir un service de soutien opérationnel, capable de s’engager, bien évidemment, en opérations, mais également de soutenir les forces dans la vie courante. À l’inverse, toutes les armées qui ont négligé leurs services de santé le payent très, très cher.
Je suis un « client » exigeant avec le directeur central du SSA. Mais il doit pouvoir disposer des moyens suffisants pour remplir sa mission, en particulier en opération, pour maîtriser les risques. À titre d’illustration, je souhaite vous citer l’exemple de l’opération SAGITTAIRE, au cours de laquelle trois militaires ont été blessés. Sans le dispositif que nous avons déployé, dont un module de chirurgie vitale au plus près des actions, je pense que nous aurions perdu un soldat.
M. Julien Rancoule (RN). Mon général, permettez-nous de vous interroger sur le contexte et l’annonce du retrait de nos 1 500 militaires du Niger. Nous avons bien conscience que les errements du politique ne sont pas de votre ressort, mais force est de constater ses conséquences sur nos armées. En effet, cette annonce arrive peu après un premier accord sur une réduction de nos effectifs militaires au Gabon, au Sénégal et en Côte d’Ivoire.
En tant que chef d’état-major des armées, vous avez la charge de l’organisation générale, de la préparation, de la mise en condition d’emploi et des choix capacitaires de nos armées. Pourriez-vous nous dire quelles sont les conséquences de ces choix et évoquer la réorganisation qu’ils impliquent ? Nos capacités d’action et de projections vont être réduites, y compris pour les opérations clandestines. Ensuite, ne craignez-vous pas un surcoût logistique lié au retrait de 1 500 hommes et de nombreux matériels du Niger ?
Concernant le budget 2024, nous prenons acte des livraisons attendues. Nous ne doutons pas qu’elles sont bienvenues, notamment les livraisons de camions Caesar pour une artillerie délestée de trente canons envoyés en Ukraine. Cependant, l’étalement des programmes suscite notre inquiétude, notamment compte tenu de l’état de notre artillerie et de notre défense surface-air, qui ont été réduites à peau de chagrin. Ce budget 2024 porte également une attention particulière à la préparation opérationnelle pour faire face à l’intensification des conflits.
Après une année 2023 marquée notamment par l’exercice Orion visant à simuler un conflit de haute intensité, comment voyez-vous l’année 2024, pour continuer à améliorer la préparation de nos forces ?
M. le général Thierry Burkhard. La préparation opérationnelle est évidemment au cœur de la LPM, mais aussi du PLF 2024, compte tenu des sommes engagées pour les domaines que vous avez cités, tels que la défense sol-air ou l’artillerie. Les cessions de matériel réalisées dans le cadre de l’aide apportée à l’Ukraine sont compensées.
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). Général, je vous remercie pour ce propos introductif extrêmement synthétique. Mon intervention portera sur deux points : la dissuasion nucléaire et la livraison de matériels. Les crédits consacrés à la dissuasion sont en augmentation de 13,7 %, les portant à 6,26 milliards d’euros, selon la presse. Parmi ces crédits, quel pourcentage devrait être alloué à la modernisation de la dissuasion ? Quel pourcentage devrait être alloué au maintien en condition opérationnelle de cette dissuasion ?
Par ailleurs, un certain nombre de livraisons sont prévues en 2024, dont une frégate de défense et d’intervention (FDI), ainsi que les premières livraisons issues des programmes Scorpion et Rafale. Comment seront répartis ces matériels, où seront-ils livrés, et dans quelle mesure répondent-ils aux besoins des armées ? Ces livraisons sont-elles cohérentes avec notre modèle d’armée ?
Enfin, que penseriez-vous, mon général, pour définir l’avenir de la dissuasion, de la proposition d’un commissariat général à la dissuasion de demain ? Il s’agirait d’une forme de laboratoire réunissant l’ensemble des acteurs, pour anticiper les technologies de rupture, définir les « possibles » stratégiques et techniques de la dissuasion et penser les besoins des armées.
M. le général Thierry Burkhard. La dissuasion, socle de notre stratégie de défense, bénéficie de +750 millions d’euros sur les 3,3 milliards d’euros de ressources nouvelles dans le cadre du PLF. Les crédits alloués sont parfaitement calculés et justifiés. Surtout, il existe une vraie nécessité d’anticipation, afin de ne jamais se trouver en situation d’incertitude.
Mme Christelle D’Intorni (LR). Général, je tiens à vous remercier, au nom du groupe Les Républicains pour votre présence aujourd’hui et d’avoir pris de votre temps pour venir répondre à nos questions au sujet du PLF 2024. Votre expertise en tant que plus haut responsable militaire de notre pays est d’une importance cruciale pour notre discussion.
Nous observons que le budget du ministère des armées connaîtra une hausse significative de 3,3 milliards d’euros en 2024, portant le total à 47,2 milliards d’euros, conformément à la LPM. Cette augmentation de 7,5 % constitue un signal positif pour notre capacité de défense nationale. Cependant, comme vous le savez, les contraintes budgétaires et les pressions financières ont souvent renforcé les défis capacitaires de nos forces armées, entraînant des conséquences sur l’opérationnalité de nos forces armées et sur le moral de nos troupes. Dans le contexte actuel où la France est confrontée à des défis sécuritaires complexes tant sur le plan national que sur le plan international, il est essentiel que nos forces armées disposent des ressources nécessaires pour accomplir leur mission.
En tant que chef d’état-major des armées, sur quels aspects de cet effort financier pour 2024 serez-vous le plus vigilant ? S’agira-t-il du maintien de l’opérationnalité de nos forces, de la modernisation de l’armée, de l’amélioration des conditions de vie des personnels ou d’un autre aspect crucial ? Ainsi, pouvez-vous nous fournir des détails sur les priorités spécifiques qui permettent de soutenir efficacement nos forces armées et de respecter la LPM ?
M. le général Thierry Burkhard. Vous avez raison, ces sujets sont essentiels pour la construction et le suivi de la LPM. Lorsque j’étais intervenu devant vous sur les axes de la LPM, j’avais évoqué les notions d’équilibre et de cohérence. Ces dernières feront donc l’objet d’une forte vigilance de ma part, au-delà des simples montants.
À ce titre, un effort particulier a été réalisé en direction des soutiens dont nos forces armées bénéficient, au quotidien. Ensuite, si l’entraînement et la préparation opérationnelle ne mobilisent pas des montants relativement très importants, ils n’en demeurent pas moins essentiels. Ainsi, je veillerai particulièrement à la cohérence, c’est-à-dire à l’équilibre entre les matériels détenus et l’entraînement des unités avec ces derniers. Je pense notamment aux munitions dont nous disposons, à la fois pour nous entraîner et pour nous engager, le cas échéant.
Mme Sabine Thillaye (Dem). Je souhaite plus particulièrement évoquer les 300 millions d’euros qui sont attribués au cyber et qui recouvrent différents aspects, depuis la protection des systèmes d’information de communication militaire jusqu’à la facilitation de l’emploi de la cryptographie. En outre, vous avez souligné la nécessité de se transformer face aux menaces qui elles-mêmes évoluent. À ce titre, la lutte informationnelle est quand même devenue un des enjeux majeurs, comme le confirme le conflit en Ukraine.
Par conséquent, de quelle manière s’articulent nos capacités cyber offensives, défensives et d’influence informationnelle ? Comment s’articulent la défense nationale et la sécurité nationale ? Ici, nous pouvons constater l’existence d’une certaine porosité entre le privé et le public. De quelles manières ces sommes seront-elles fléchées ?
M. le général Thierry Burkhard. Les grands domaines et les grandes fonctions font l’objet d’une forte interconnexion au sein des armées, mais aussi au-delà, en interministériel. Le cyber en fournit une illustration, dans ses aspects défensifs et offensifs, visibles et invisibles, directs et indirects. L’influence ne relève pas uniquement du cyber, mais il est vrai que cette fonction occupe désormais une place extrêmement importante, qu’il ne faut pas négliger.
L’articulation entre la défense nationale et la sécurité nationale s’effectue au sein d’un dispositif interministériel qui est plutôt bien construit, notamment en matière de cyber, afin que les actions soient bien coordonnées, au bénéfice de la nation.
Mme Anna Pic (SOC). Le PLF 2024 pour la mission défense est marqué par certaines augmentations significatives de crédits, lesquelles étaient attendues pour entériner les engagements pris dans la LPM votée l’été dernier. Ces augmentations portent notamment sur les nouveaux espaces de conflictualité, tel que le cyber et le spatial, mais également la dissuasion ou encore la préparation opérationnelle pour faire face à la perspective d’un conflit de haute intensité.
Je souhaite revenir sur la situation au Niger à la suite du coup d’État perpétré en juillet dernier. Après avoir effectivement été assez ferme dans un premier temps, Emmanuel Macron a indiqué le 24 septembre dernier que le personnel diplomatique et les militaires sur place rentreraient en France d’ici la fin de l’année. Militairement, une page historique semble ici se tourner, malgré l’attachement que nous avons porté au continent, notamment pour le soutenir dans la lutte contre le terrorisme.
En outre, le continent africain, et notamment son environnement francophone, représentait un terrain d’entraînement approprié pour nos forces et permettait de confronter les troupes au combat. Dès lors, le retrait de nos troupes en Afrique, qui n’était pas tout à fait programmé, ou plutôt pas tout à fait anticipé, aura-t-il un impact budgétaire sur notre préparation opérationnelle ? Serons-nous confrontés à des difficultés en matière d’entraînement ? L’augmentation des crédits alloués à la préparation opérationnelle suffira-t-elle à compenser ce retrait ?
M. le général Thierry Burkhard. Les armées sont toujours confrontées à des situations inattendues, une année se déroule rarement de la manière envisagée au départ. La situation au Niger en est une parfaite illustration. Elle introduit une nouvelle donne dans un certain nombre de domaines et nous devons naturellement la prendre en compte pour l’évolution des coûts. D’un côté, nous conduirons moins d’opérations sur place mais, d’un autre côté, une opération de désengagement est toujours coûteuse. Elle entraînera également des effets de bord, non pas sur la préparation opérationnelle — puisque nous n’en faisons pas au Niger — mais pour la préparation des forces, au profit d’autres opérations.
M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Mon général, je tiens d’abord, à travers vous, à remercier très chaleureusement le 5e régiment interarmes d’outre-mer, qui m’a formidablement accueilli lors de mon déplacement à Djibouti. Celui-ci réalise un excellent travail, à la fois pour notre souveraineté et pour la sûreté de Djibouti. J’aurai d’ailleurs l’occasion d’y revenir ultérieurement dans un rapport pour avis.
Ma question porte sur le pivot vers l’est et la haute intensité, dont vous êtes le grand architecte. Comment appréciez-vous l’orientation des crédits du PLF 2024 en direction de l’équipement et de l’entraînement, et le développement d’une posture renforcée à l’est pour se projeter davantage à l’intérieur du continent européen ? Il convient également de mentionner la perspective éventuelle de la constitution de corps d’armée ou d’un corps d’armée au sein de l’Otan, avec la France comme nation-cadre.
Enfin, compte tenu des évolutions stratégiques et de la posture russe agressive, ce corps d’armée devient le nouveau mètre étalon de l’investissement politique des membres de l’Alliance atlantique et donc de leur capacité à générer de la puissance. Ma question porte sur l’ensemble des volets : l’équipement, l’entraînement et les soutiens logistiques.
M. le général Thierry Burkhard. Votre question est centrale. Au-delà du pivot vers l’est, nous devons faire face à un nouveau type de conflictualité, c’est-à-dire la probabilité ou la possibilité d’être confrontés à une guerre qui nous soit imposée. Comme vous l’avez indiqué, ces éléments recouvrent l’ensemble des champs et nous avons traduit cette orientation dans les trois axes identifiés en termes de cohésion nationale, de partenariats stratégiques et de crédibilité opérationnelle.
La cohésion nationale a particulièrement trait aux forces morales, qui sont essentielles. Au-delà, face au risque de guerre, nous devons être bien intégrés dans des organisations de défense collective, mais aussi tisser des liens avec des pays en dehors du cadre de l’OTAN. La crédibilité opérationnelle nous incite à accorder une importance particulière à certains domaines comme la défense sol-air, les moyens de franchissement, les moyens d’artillerie, mais également le domaine aérien. Je pense notamment aux missiles anti-radar, par exemple.
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Général, je vous remercie pour votre présence, même si je souhaiterais que vos réponses soient plus détaillées. J’espère en obtenir de plus précises, notamment sur la question du financement des missions opérationnelles, lesquelles constituent une nouveauté depuis quelques années, notamment sur le flanc est de l’Europe. Elles sont aujourd’hui financées directement sur les budgets opérationnels de programme (BOP) d’armée et bénéficient, à la fin de l’année, d’un financement interministériel dans le collectif budgétaire, quand ceci est nécessaire.
Jusqu’à présent, les fonds engagés étaient assez limités pour les missions réalisées dans les pays baltes. Il n’en va plus de même avec la mise en place d’une mission en Roumanie. Pourriez-vous nous indiquer quel est le coût ou le surcoût, d’une certaine manière, de ces missions opérationnelles sur une année pleine ? De quelle manière ce budget est-il financé ? Existe-t-il une tension sur les BOP d’armée du programme 178 en raison de ce mode de financement ? Le financement interministériel de compensation est-il garanti ?
Ne faut-il pas là dresser une sorte de parallèle avec le mode de financement des opérations extérieures (Opex) ? Ne serait-il pas plus simple d’user de ce mode de financement plus classique ?
M. le général Thierry Burkhard. La mission AIGLE a débuté au cours de l’année 2022, elle n’a pas encore atteint « son rythme de croisière ». Les chiffres actuels ne sont donc sans doute pas significatifs, notamment parce que nous n’avons pas encore atteint le niveau d’entraînement similaire à celui réalisé en Estonie. Ensuite, le financement correspond effectivement au BOP Opex, qui traduit les décisions prises au niveau politique. À ce titre, il convient de mener un débat sur le fléchage de cette compensation.
En outre, vous avez raison de dire que ces missions sont financées en partie par les BOP d’armées, l’interarmées prenant la part qui était liée à la projection. Je milite depuis un certain temps pour reconsidérer la manière dont ces opérations sont conduites… S’agissant des chiffres, le surcoût pour le flanc Est s’élève à 700 millions d’euros en 2022 et à 600 millions d’euros en 2023.
M. Frank Giletti (RN). Mon général, nous résoudre à dire que nous rencontrons des difficultés en termes de recrutement reviendrait à mener une analyse incomplète, puisque celle-ci ne semble finalement être en grande partie que la conséquence d’une impossibilité de fidéliser nos militaires. À ce titre, le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM) a produit un inquiétant constat à propos des officiers, constat qui s’étend malheureusement aux sous-officiers et militaires du rang, dont les départs sont nombreux.
Tandis que le concept d’armée de masse a laissé place à celui d’un format d’armée plus cohérent avec la LPM, nous peinons néanmoins à stabiliser les effectifs. Ce phénomène s’explique notamment par la concurrence menée par le secteur civil, les conditions de vie offertes aux militaires, la crise de sens inhérente à la société, les difficultés familiales liées à la mobilité et, surtout, les perspectives d’évolution de la grille indiciaire, autant d’éléments venant contraindre les enjeux de fidélisation.
Par exemple, nous comprenons qu’il puisse être démotivant pour un militaire du rang présent dans l’institution depuis huit ans d’être rémunéré au même niveau qu’un nouvel entrant. Dès lors, mon général, vous qui connaissez nos armées mieux que personne, sur quels métiers et quels grades faut-il accélérer nos priorités ?
M. le général Thierry Burkhard. La question des ressources humaines est effectivement capitale : le jour où nous n’arriverons plus à recruter, nous serons confrontés à de grandes difficultés. De nombreux autres pays y ont d’ailleurs déjà été confrontés. Le problème est plus large, car il n’existe pas de séparation entre le marché du travail civil et le marché du travail militaire : il n’existe qu’un seul marché du travail. Nous sommes tous confrontés à l’évolution des mentalités et de la relation entre les employeurs et les employés.
La LPM consacre une très forte somme d’argent (413 milliards d’euros) aux armées. Mais au-delà des montants affichés, la question sous-jacente concerne les investissements consentis envers les hommes et les femmes qui les composent : en forçant le trait, une armée n’est pas tant financée pour ce qu’elle fait que pour ce qu’elle doit être capable de faire. Dès lors, ces sujets embrassent à la fois les rémunérations des personnels, mais aussi leur place dans la société et la reconnaissance de leur rôle par la nation.
Au cœur du dispositif se trouve la mobilité : la mobilité inhérente à la fonction militaire, c’est-à-dire la disponibilité en tous lieux et en tous temps, mais également la mobilité en tant « qu’escalier social ». Cet escalier social est au cœur des armées : si le chef ne s’en va pas le moment venu, son subordonné n’évolue pas. Une des caractéristiques majeures dans les armées est la suivante : nous sommes toujours en train de nous préparer à prendre la place de notre chef. Cela va même plus loin : dans les armées, votre chef vous aide à vous préparer pour prendre sa place. Au-delà, il nous faut prendre en compte les conséquences de la mobilité, et particulièrement sur le travail des conjoints, la scolarisation des enfants, l’accession à la propriété ou encore l’accès aux soins. Dans ce domaine, le périmètre des armées ne suffit pas, le sujet relève de la responsabilité de la nation entière. Il est nécessaire de revoir ces éléments, assez rapidement. Nous nous y attelons.
Mme Valérie Bazin-Malgras (LR). Général, je vous remercie pour votre présence et vos propos liminaires. Ma question concerne les réservistes et la montée en charge prévue pour 2024. Dans la LPM, nous avons voté une augmentation des réservistes pour aller jusqu’au nombre de 105 000 en 2035. Dès 2024, nous savons que nos armées vont devoir en accueillir 3 800 supplémentaires. Hier, j’ai questionné le ministre concernant leur rémunération et leur statut. J’aimerais aujourd’hui savoir quels sont, selon vous, les principaux écueils relatifs à l’accueil de ces réservistes dans vos unités. Les personnels sont-ils suffisamment formés pour accueillir ces réservistes ? Comment appréhendent-ils cette montée en puissance ?
M. le général Thierry Burkhard. La réserve est essentielle au fonctionnement des armées et le ministre a affiché l’objectif final de disposer d’un réserviste pour deux militaires d’active. Ici aussi, la réflexion doit s’intégrer dans une vision globale des ressources humaines et du monde du travail en général.
Ensuite, afin d’atteindre cet objectif, il nous faut simplifier les procédures de recrutement, mais également être plus pragmatiques sur la formation, les possibilités et les durées d’emploi des réservistes. Nous devons ainsi améliorer la structuration du dispositif et ouvrir d’autres catégories, comme une réserve d’expertises. Il importe également d’être conscient qu’un réserviste ne servira pas pendant trente ans, mais pour une durée plus limitée. Par ailleurs, par exemple, un réserviste dans le cyber produira des effets opérationnels, mais pour autant, il le fera probablement à partir du territoire national et non sur un théâtre d’opérations. Il s’agit donc de trouver un équilibre entre d’une part les exigences, sur lesquelles nous devons rester particulièrement fermes ; et d’autre part, un certain nombre de points sur lesquels nous devons faire preuve de plus de souplesse et de pragmatisme.
Au-delà, nous souffrons d’un réel problème de visibilité, pour recruter à la fois des réservistes, mais aussi des personnels d’active. En réalité, les militaires sont extrêmement peu visibles : je crois qu’entre 50 % et 75 % des Français peuvent passer la totalité de leur vie sans n’avoir finalement jamais été au contact d’un militaire. Nous devons donc augmenter notre « surface de contact » avec la population. Cela passe notamment par un travail encore plus étroit avec l’Education nationale. De même, en tant que parlementaires, et particulièrement en tant que membres de la commission de la défense, vous constituez bien évidemment des relais importants.
L’exercice ORION a permis une plus grande mise en contact de la population avec « ses » militaires, qui a été particulièrement appréciée par les femmes et les hommes de nos armées. Je travaille afin que le même mécanisme soit à l’œuvre lors d’exercices de moindre envergure qu’Orion, sur le terrain.
Mme Caroline Colombier (RN). La Cour des comptes a rendu avant-hier un rapport sur le service de santé des armées. Elle y exprime ses préoccupations quant à la capacité du SSA à accomplir ses missions en raison de réformes récentes, et notamment la mutualisation des écoles et la réduction excessive des effectifs. Ces changements ont entraîné une surcharge de travail pour le personnel médical, avec des taux de projection élevés. Malgré les mesures prises pour soulager le SSA, la Cour des comptes doute de sa gestion des ressources humaines et de son attractivité, soulignant également des réorganisations fréquentes et des problèmes d’encadrement. Aussi, ce rapport de la Cour vous inquiète-t-il ? Comment envisagez-vous de remettre à flot le SSA, notamment dans le cadre élargi d’un conflit de haute intensité ?
M. le général Thierry Burkhard. J’ai déjà répondu sur l’exigence d’un SSA parfaitement opérationnel, et donc de la nécessité d’y consacrer des moyens. Il doit avoir pleinement conscience de sa militarité et donc des contraintes et charges qui y sont associées. J’ai pleinement confiance dans le travail du médecin général des armées Jacques Margery, qui a été nommé le 1er juillet 2023. Il est complètement impliqué dans sa tâche, très présent sur le terrain, et je suis certain que son action produira des effets. Les défis du SSA sont élevés, mais je sais qu’il est capable de les relever dans la continuité de son prédécesseur.
Mme Delphine Lingemann (Dem). Agir vite et bien, la devise du 28ème régiment de transmissions d’Issoire illustre bien la transformation de nos armées à l’heure de la LPM 2024-2030. Celle-ci passe par la montée en puissance du cyber et des moyens affectés. Dans la perspective d’un budget cyber de 300 millions d’euros en 2024, quelle place le PLF accorde-t-il aux transmissions, afin d’assurer la cohérence de la chaîne d’information entre le numérique et le cyber ? Enfin, s’agissant du coût de la formation cyber, est-il prévu d’alimenter le budget des armées qui sont les gestionnaires, les recruteurs et les formateurs, pour accompagner la montée en puissance de cette ressource pour l’ensemble des employeurs du ministère ?
M. le général Thierry Burkhard. Le terme de « transmissions » est un peu suranné, car il recouvre aujourd’hui une réalité bien plus large. La différence entre le numérique, les transmissions et le cyber tend à se réduire ; la connectivité figurant parmi les facteurs communs. Nous veillons donc à ne pas enfermer les gens qui y travaillent dans des carrières trop étroites. Les volets relatifs aux systèmes d’information et de communication (SIC) et cyber sont bien pris en compte, notamment dans le plan d’équipement Syracuse et le programme Scorpion. Les doctrines d’emploi doivent également être mentionnées dans le cadre du réseau multi-senseurs multi-effecteurs (RM2SE), mais aussi du commandement interarmées, qui doit évoluer pour être plus agile. La partie SIC doit être capable de relier les opérationnels de manière un peu différente et très évolutive au cours d’une même opération.
M. José Gonzalez (RN). Les drones ont modifié notre vision de l’information et de la guerre. Ils prennent maintenant une place prépondérante au sein de notre modèle des armées. Lors de l’examen de la LPM, le général Stéphane Mille avait évoqué la possibilité de déploiement du futur drone EuroMALE, afin de protéger nos territoires et collectivités d’outre-mer.
Alors que l’opération Barkhane est terminée et que les forces françaises se désengagent du Niger, les drones Reaper français vont connaître une baisse d’activité significative. Envisagez-vous une réorientation de ces engins vers nos territoires d’outre-mer ? Ils pourraient en effet offrir un avantage non négligeable sur la surveillance maritime en Indopacifique et sur la protection de nos zones économiques.
Ensuite, pouvez-vous nous en apprendre davantage sur notre présence potentiellement accrue au Levant ? Comment évoluera l’opération Chammal, qui lutte encore aujourd’hui activement contre l’État islamique, appuyée par moins de 600 militaires — que je veux saluer par ailleurs respectueusement ? Le PLF 2024 permet-il cet effort substantiel consacré à la surveillance et au renseignement sur notre environnement, à travers l’évolution et l’emploi des drones prévu par la LPM ?
M. le général Thierry Burkhard. Les drones évoluent aujourd’hui dans tous les milieux, terrestres, maritimes et aériens. Ils recouvrent des réalités différentes, certains appareils pesant plusieurs tonnes quand d’autres ont un poids inférieur à 20 grammes. Nous devons donc les prendre en compte pour le développement et l’intégration dans nos systèmes et la manière dont nous envisageons de les employer au combat.
Ensuite, je ne rentrerai pas dans le détail sur leurs zones de déploiement, mais je ne suis pas persuadé que les drones connaîtront une moindre activité, y compris ceux qui seront retirés du Sahel. La surveillance de nos espaces fait l’objet d’une exigence de sécurité à 360 degrés et les drones jouent ici un rôle essentiel, dans leur diversité. Il existe des capteurs « champ large », capables de surveiller facilement des zones importantes sans être extrêmement précis, mais également des moyens de surveillance « champ étroit ». Nous devons travailler sur la combinaison de ces deux types de capteurs, pour pouvoir, en particulier en outre-mer, surveiller nos grands espaces.
M. Yannick Favennec Bécot (HOR). Par la reconnaissance que la nation porte à ses militaires, ainsi qu’à leurs proches, en leur offrant des conditions de vie et de travail satisfaisantes, ce budget renforce le lien qui unit notre nation et ses armées. Nous nous en félicitons.
Mon propos concernera la condition des officiers, sur lesquels pèsent plus lourdement certaines sujétions de l’état militaire, en particulier la disponibilité et son corollaire, la mobilité. À cet égard, les derniers travaux du HCECM rendus publics en juillet dernier font apparaître que les forces armées disposent aujourd’hui d’officiers compétents très impliqués et attachés à l’institution militaire. Cependant, ils mettent également en évidence des difficultés, des interrogations en matière de recrutement, de capacité à fidéliser au travers du déroulement de la carrière de l’officier, des conditions de service et des conditions de vie pour lui, mais aussi pour sa famille. Pouvez-vous m’indiquer de quelle manière ce budget intègre l’attente des officiers d’une meilleure reconnaissance ? Plus largement, quelles sont vos pistes de réflexion pour permettre aux forces armées de disposer demain des officiers dont elles auront besoin un jour ?
M. le général Thierry Burkhard. La grille indiciaire est amenée à évoluer, notamment pour les officiers, dès 2025. Le rapport du HCECM pointe avec justesse les éléments de vie au quotidien. Dans ce cadre, nous accordons un effort particulier en matière de soutien, pour la vie courante. Les militaires ne se plaignent pas d’être projetés sur le terrain, ni des conditions parfois difficiles dans lesquelles ils évoluent. Je pense en revanche qu’ils subissent une forme d’usure au quotidien, en raison de procédures parfois trop complexes ou des normes qui ne s’appliquent pas toujours de manière pertinente. Je souhaite précisément que nous puissions agir sur cette usure.
Ensuite, le troisième volet de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) est prévu dans la LPM. Le plan Famille doit également être mentionné, même s’il ne cible pas particulièrement une catégorie. Vous avez en outre raison de souligner que la mobilité présente des conséquences importantes, en particulier pour les officiers. Les durées d’affectation sont, de fait, plus courtes. Les familles des officiers sont plus impactées par les sujétions liées à la mobilité.
M. Yannick Chenevard (RE). Nous avons tous conscience que nos armées ne valent que par celles et ceux qui les servent. D’un point de vue personnel, je me satisfais de voir que l’amendement que j’ai porté et fait voter dans le cadre de la LPM pour une modification des grilles indiciaires, commencera à porter ses fruits. Vous avez évoqué longuement la partie relative aux conditions militaires. Les effets de la nouvelle politique de rémunération des militaires commencent-ils à se percevoir ? Par ailleurs, l’objectif s’élève à 28 300 recrutements en 2024, pour un solde final positif de 456. Cependant, le faible taux de chômage à 7 % ralentit les possibilités de recrutement dans nos armées.
Enfin, j’ai particulièrement apprécié l’allusion que vous avez faite sur l’escalier social dans nos armées. De fait, 50 % des sous-officiers sont d’anciens militaires du rang et 50 % des sous-officiers deviennent officiers. Vous avez également rappelé que le rôle du chef consiste également à préparer son second, son adjoint, à lui succéder. Il s’agit là d’un excellent modèle de fonctionnement.
M. le général Thierry Burkhard. Les éléments que vous venez d’évoquer contredisent les tentatives de ceux qui voudraient introduire une forme de « lutte des classes » au sein des armées. Il n’existe pas de volonté de défavoriser qui que ce soit. La revalorisation de la grille des sous-officiers bénéficie à terme aux militaires du rang, puisque nombre d’entre eux deviennent sous-officiers. La revalorisation de la grille indiciaire a pour objet d’améliorer la cohérence de l’ensemble, dont l’efficacité est construite sur le modèle de l’escalier social.
La NPRM se met effectivement en œuvre de manière assez large. Les modélisations, certes indispensables, atteignent aussi leurs propres limites. Un calculateur a été établi pour permettre à chacun d’obtenir une évaluation individuelle. Nous affinons désormais les modélisations et la NPRM comporte une clause de revoyure en 2026. Nous devrons notamment mieux prendre en compte certaines situations géographiques.
Il convient d’ailleurs de rappeler que la NPRM ne constitue pas une revalorisation. Naturellement, les 480 millions d’euros prévus seront distribués. Cependant, la NPRM porte en son cœur une nouvelle politique, centrée sur la simplification de la gestion et sa lisibilité. Cette couche de simplification a été opérée et il convient maintenant de mesurer plus finement ses effets, c’est-à-dire les conditions individuelles des uns et des autres. De plus, la localisation géographique a également un impact important : les personnes affectées en région parisienne ne rencontrent pas les mêmes difficultés que celles qui vivent à Angers, Brest ou à Orange.
Vous avez également formulé une remarque sur les recrutements, la fidélisation et le taux de « perte » que nous pouvons déplorer. Nous avons travaillé pour faire en sorte de ne pas isoler les crédits destinés au recrutement de ceux qui sont destinés à la fidélisation. En effet, ces deux leviers contribuent à la même politique. Assez logiquement, s’il est plus difficile de recruter, il faut également produire un effort particulier en matière de fidélisation.
Nous devons utiliser nos crédits avec pertinence, pour nous adapter de la meilleure manière possible aux évolutions du monde du travail.
M. le président Thomas Gassilloud. Mon général, je vous remercie.
L’audition se poursuit à huis clos
M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, nous entamons désormais la partie à huis clos de cette audition, qui nous permet d’envisager des échanges plus libres et plus ouverts.
Mon général, parmi les questions qui n’ont pas fait l’objet de réponses de votre part dans la partie publique de l’audition, j’ai notamment noté celles relatives au Niger. Le groupe La France Insoumise souhaitera peut-être poser à nouveau des questions sur la dissuasion.
M. Jean-Louis Thiériot (LR). Lors du vote de la loi de programmation militaire (LPM), nous avons insisté sur la préparation opérationnelle. Les marges supplémentaires que nous avons obtenues devaient y être largement consacrées. Dans les limites de ce qui n’est pas couvert par le secret de la défense, pouvez-vous évoquer les effets directs de cette LPM sur l’amélioration de la préparation opérationnelle ? Pourrons-nous les observer dès 2024 ? Quelle sera la répartition entre les armées ?
Par ailleurs, je m’interroge également sur l’attractivité. Lorsque j’échange avec le corps des officiers, notamment les officiers quatre ou cinq galons, j’observe quelques réelles déceptions. Aujourd’hui, un lieutenant-colonel est traité comme un administrateur de l’État de 30 ou 35 ans qui, lui, ne risque pas sa vie sur le terrain. Comment appréhendez-vous ce sujet et quelles réponses pourraient-elles être apportées ? Il s’agit d’un enjeu de justice et de pérennité d’engagement.
M. le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées. Par la force des choses, l’amélioration de la préparation opérationnelle ne produira pas tous ses effets dès 2024. Cependant, nous avons bien avancé dans ce domaine. D’un point de vue qualitatif, ORION nous a par exemple permis d’effectuer un grand bond en avant, notamment pour notre capacité à concentrer notre entraînement par composante, pour en faire un entraînement interarmées. Nous n’avons pas dépensé moins d’argent, mais nous avons mieux optimisé les synergies. Ensuite, cette action est également liée aux nouveaux matériels et à la nouvelle manière de travailler. La transformation des armées concerne la modification de notre manière de combattre et donc de s’entraîner. Elle débute très tôt, par la formation initiale dans les écoles de sous-officiers et d’officiers.
Nous sommes conscients des différences entre les officiers et les administrateurs de l’État. Dans une armée, nous avons besoin de tout le monde, y compris de ceux qui ne risquent pas leur vie sur le terrain. Cependant, nous devons prendre en compte ce phénomène. Par ailleurs, nous devons rester lucides : aujourd’hui, le critère de la rémunération est important pour tous ceux qui recherchent un travail ; nous ne vivons pas dans un monde parallèle. Dans le civil comme dans le monde militaire, certains peuvent faire fi de ces contraintes financières, mais ils sont rares. Nous devons donc être vigilants. À l’inverse ce qui se passe dans le domaine capacitaire, je considère que, dans le domaine des ressources humaines (RH), le chef d’état-major des Armées (CEMA) ne dispose pas des leviers pour peser suffisamment.
M. François Cormier-Bouligeon (RE). Le MCO de notre matériel constitue un sujet essentiel, auquel j’accorde une attention particulière en vue du rapport sur le programme 178 que je présenterai à la commission dans quelques jours. Ce MCO repose sur une double organisation interne et externe, à travers nos partenaires industriels. Vous prévoyez de modifier cet équilibre délicat en faveur du MCO effectué en interne. Quels progrès en attendez-vous ? Pensez-vous gagner en coût, en efficacité et en indépendance ? Ne craignez-vous pas de déstabiliser la supply chain mise en place par notre base industrielle et technologique de défense (BITD) ? Ces changements font-ils l’objet d’un dialogue satisfaisant entre la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) et les industriels ?
M. le général Thierry Burkhard. Il est toujours nécessaire de trouver un équilibre entre la verticalisation des contrats et la nécessité de disposer en interne d’opérateurs et techniciens capables d’entretenir les matériels sur les théâtres d’opérations. Ces questions dépendent également du type et de l’âge des matériels. Quand un matériel neuf arrive dans les forces, il est nécessaire de former tous ceux qui seront conduits à travailler avec celui-ci. Au bout de quelques années, le nombre d’experts est forcément plus élevé. Ces équilibres sont donc à géométrie variable et évoluent au cours du temps, certains matériels pouvant être entretenus facilement sur les théâtres d’opérations, quand d’autres nécessitent un entretien sur le territoire national. Naturellement, le dialogue entre la SIMMT et la BITD est constant. En résumé, le MCO est bien pris en compte, 745 millions d’euros supplémentaires y seront consacrés en 2024, le montant total s’établissant à 5,7 milliards d’euros. Ici aussi, la cohérence est le maître mot.
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Général, je souhaite revenir sur les missions opérationnelles. La LPM de 2013 définit les opérations extérieures (Opex) et indique que « L’intervention à l’extérieur du territoire national vise, par la projection de capacités militaires, à protéger les ressortissants français et européens, à défendre les intérêts de la France dans le monde et à honorer nos engagements internationaux et nos responsabilités. Elle s’effectue en recherchant prioritairement un cadre multinational (…) ». En quoi la mission AIGLE que nous effectuons en Roumanie ne répond pas, selon vous, à ces trois objectifs ?
M. le général Thierry Burkhard. La mission répond à ces objectifs, mais le cadre choisi n’est pas celui d’une Opex.
M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Dans ce cas, quel est le texte qui définit la mission ?
M. le général Thierry Burkhard. Nous devons prendre en compte l’évolution de la conflictualité. Le contexte de 2013 n’est pas semblable à celui que nous connaissons désormais.
Mme Anne Genetet (RE). En tant que médecin, je me permets à nouveau de revenir sur le SSA pour approfondir la question que je vous ai posée lors de la partie publique de l’audition. Vous avez rappelé que 1,7 milliard d’euros sont injectés dans le SSA.
Le rapport de la Cour des comptes met en évidence plusieurs éléments : les difficultés de recrutement des personnels, mais également les pertes durant le parcours. Selon le rapport, 30 % des élèves quittent le parcours avant son terme, pour différentes raisons, dont la rémunération — inférieure à celle dont ils peuvent bénéficier dans le civil — et l’absence de certaines spécialisations. Le rapport pointe également des problèmes avec nos hôpitaux militaires — il évoque notamment la reconstruction de l’hôpital Laveran de Marseille —, mais aussi les soucis de matériels et d’équipements.
Pouvez-vous revenir sur les trois points évoqués, c’est-à-dire le personnel, les hôpitaux et le matériel ? De quelle manière les crédits de 1,7 milliard d’euros seront-ils répartis ? Comment envisagez-vous d’apporter un début de réponse aux problèmes de recrutement ?
M. le général Thierry Burkhard. Les ressources humaines sont marquées par une forme d’inertie entre la décision prise et les effets mesurés. Celle-ci est encore plus importante sur un cycle d’une dizaine d’années. Malheureusement, cette attrition s’explique. Les études de santé débutent dès la terminale, à un âge où les projets professionnels évoluent encore. Le SSA doit être particulièrement explicite et bien expliquer aux personnes qu’il recrute quelques mois avant le baccalauréat les enjeux et sujétions d’une carrière de médecin militaire.
Par ailleurs, nos aspirants doivent conserver leur motivation initiale pendant leurs dix ans d’étude, qui constituent une forme de tunnel, réparti en deux tronçons, l’un de sept ans et l’autre de trois ans. Je comprends complètement que cet aspect soit compliqué d’un point de vue psychologique. Enfin, par la force des choses, nos aspirants médecins sont formés en partie en milieu civil et ils évoluent parmi d’autres étudiants qui se destinent à une carrière dans le civil, qui est différentes à bien des égards.
Le défi est immense, mais il peut être relevé, car le médecin militaire a choisi de faire autre chose ; il interviendra dans des situations que ses confrères rencontreront moins dans le monde civil. Le SSA doit mettre l’accent sur cet aspect et faire prendre conscience des responsabilités d’un médecin militaire en matière d’organisation et de commandement, ainsi que des perspectives de projection en opération.
Mme Anne Genetet (RE). Les phénomènes d’attrition existent également dans le civil. N’est-il pas envisageable que le SSA recrute un peu plus tard lors du parcours, au moment où la motivation a pris des formes différentes ?
M. le général Thierry Burkhard. Cette possibilité existe déjà. Il faut cependant rester raisonnable, pour conserver une forme d’équité vis-à-vis de ceux qui s’engagent dès le départ. Certaines armées ont choisi de recruter des médecins déjà formés, mais cette formule est plus compliquée. Un équilibre subtil doit donc être maintenu. À la réflexion, le défi à relever est très important, mais nous allons y parvenir. Les armées doivent réussir à faire prendre conscience de la singularité du métier de médecin militaire.
Un autre débat récurrent concerne le parcours des médecins militaires. Aujourd’hui, les médecins militaires doivent d’abord être généralistes, c’est-à-dire médecins dans les corps de troupe, dans un régiment, sur une base aérienne ou sur un navire avant de se spécialiser. Auparavant, lors des épreuves classantes nationales (ECN), les externes choisissaient d’être soit médecins généralistes et urgentistes dans les corps de troupe, soit d’être praticiens hospitaliers.
Pour ma part, je pense qu’il est important que tous les médecins aient d’abord l’expérience d’un contact avec les militaires, dans les unités. Il est essentiel qu’ils puissent connaître la population qu’ils vont traiter. Si l’interaction avec le monde civil est impérative, nous ne pouvons pas non plus nous tromper de priorité. Nous devons à la fois disposer d’un maillage, mais aussi assurer une priorisation. Les liens entre les sphères militaires et civiles doivent être, ici aussi, renforcés : je rappelle que les hôpitaux militaires ne sont logiquement pas dimensionnés pour recevoir un nombre de blessés trop élevés en cas de conflit de haute intensité.
M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je souhaite vous faire part d’une humble remarque concernant le SSA. Je m’interroge sur la perception de la militarité par le SSA. Dans les unités, certains m’ont indiqué que le SSA ne prend pas toujours suffisamment en compte la fonction militaire, lui reprochant en quelque sorte d’être d’abord des médecins plutôt que des militaires. Ce discours est parfois récurrent, dans toutes les armées. Nous devons tous nous attacher à la prise de conscience de cette militarité. À cet égard, le passage en corps de troupe me semble absolument indispensable.
M. le général Thierry Burkhard. Cette question porte plus globalement sur les caractéristiques de la sujétion militaire.
Les réorganisations qui ont été conduites dans le soutien sont une des causes. Le soutien doit s’attacher à une plus grande efficacité. Précédemment, chaque unité disposait de son infirmerie et donc de son médecin-chef, qui était le conseiller santé du chef de corps. Ensuite, le soutien s’est orienté vers une plus grande mutualisation, qui est recommandable par bien des aspects. Dans les faits, le médecin-chef s’est souvent retrouvé plus éloigné des structures de commandement des unités. Le SSA doit donc s’organiser de manière spécifique pour pallier ces effets de bord, ce qui implique une véritable volonté de sa part.
À une époque, le SSA a également perçu cette organisation comme un moyen de retrouver une plus grande autonomie, ce qui a aussi contribué à une forme d’éloignement. Il faut y prendre garde : la proximité et l’interaction dans les armées sont essentielles pour conserver et motiver nos médecins militaires.
M. le président Thomas Gassilloud. Je vous remercie pour cet échange. Nous portons tous, en tant que parlementaires, une responsabilité pour souligner la singularité militaire. Je rappelle à ce titre que le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM) remet son rapport au Président de la République, mais aussi au Parlement.
Mme Valérie Bazin-Malgras (LR). En tant que rapporteur du programme 169, je souhaite également revenir sur le SSA, et notamment le Plan blessés 2023-2027. Chaque militaire qui rentre d’opération extérieure doit consulter un médecin dans les quatre-vingt-dix jours. Les militaires ne pourraient-ils pas consulter un militaire avant le départ du théâtre ? Qu’en pensez-vous ?
M. le général Thierry Burkhard. Ce dispositif existe déjà sur les théâtres d’opérations qui justifient un soutien psychologique particulier. En outre, le chef de proximité est le premier responsable de l’appréciation de l’état psychologique d’un soldat, avant le SSA. Il est en effet le mieux placé pour détecter en amont une détresse psychologique.
Ensuite, sur certains théâtres éligibles, il existe « un sas » de fin de mission. Pendant quatre jours, ce sas offre un « retour au calme ». Dans ce cadre, des entretiens collectifs et individuels peuvent être conduits, sans forcément la présence de l’encadrement. À ce moment-là, tous les militaires voient un médecin et peuvent demander de rencontrer un psychologue. Ce système fonctionne bien globalement, notamment pour les unités envoyées en unités constituées. Mais, sur le terrain, il arrive que ces unités constituées soient parfois renforcées par quelques militaires provenant d’autres unités. L’effort doit se poursuivre sur les cas particuliers, qui sont forcément plus difficiles à prendre en compte. Malgré tout, nous avons bien progressé dans ce domaine.
M. Frank Giletti (RN). Je souhaite revenir sur les sujets de ressources humaines, qui me semblent fondamentaux. Je regrette que les officiers généraux, les grands chefs de notre armée ne se voient pas attribuer suffisamment de postes dans le civil qui correspondent à l’excellence de leur carrière et de leur expertise. Certains grands postes à vocation militaire sont ainsi attribués à des civils. Je pense notamment au poste de directeur général de la sécurité extérieure (DGSE) ou à celui de directeur général de l’École Polytechnique. Je ne comprends pas pourquoi.
M. le général Thierry Burkhard. Je ne suis pas sûr d’être la personne la mieux indiquée pour en parler. Des passerelles existent. De temps en temps, des militaires deviennent ambassadeurs ou préfets. C’est le cas de l’actuel ambassadeur de France au Cameroun par exemple…
M. Frank Giletti (RN). Je rappelle que le général Jean-Louis Georgelin a accompli des miracles lorsqu’il présidait l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame. Dans l’intérêt supérieur de la nation, il me semble essentiel que des militaires puissent accéder à ces postes à haute responsabilité.
M. le général Thierry Burkhard. Idéalement, il faudrait la meilleure personne pour chaque poste considéré, qu’elle soit civile ou militaire.
Mme Sabine Thillaye (Dem). Je souhaite revenir sur la question du cyber, en lien avec la modernisation du renseignement. Une somme de 500 millions d’euros va être consacrée au renseignement et 300 millions d’euros seront dévolus au cyber. Or les deux aspects sont intimement liés. Quels sont les travaux d’infrastructure majeurs dont nous avons besoin ?
En outre, il est fréquemment question de la souveraineté numérique de l’Europe. Existe-t-il des solutions techniques au sein de l’Union européenne pour tendre vers cette souveraineté numérique ?
M. le général Thierry Burkhard. Le renseignement est incontournable, car il détermine notre capacité à comprendre et à anticiper. Les moyens dédiés au renseignement sont parfaitement justifiés et à mon avis tout juste suffisants. Idéalement, il faudrait même pouvoir déployer plus de moyens, notamment dans le cyber.
S’agissant des infrastructures, le siège de la DGSE déménagera en 2028 au Fort de Vincennes et des travaux sont en cours au siège de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) au Fort de Vanves. La direction du renseignement militaire (DRM) poursuit sa transformation numérique avec Artemis IA, la solution de traitement de masse de la donnée et d’intelligence artificielle, à l’intersection du renseignement et du cyber.
Ensuite, la souveraineté numérique est essentielle, mais il convient d’être pragmatique dans ce domaine. Nous ne devons pas choisir des options singulières au détriment de l’efficacité et qui aboutiraient à un manque d’interopérabilité avec les autres pays. L’idéal consiste à travailler avec nos partenaires européens, ce qui passe par une harmonisation des rôles de chacun. Nous devons agir avec pragmatisme et réalisme.
Mme Sabine Thillaye (Dem). Il semble malgré tout que les solutions techniques sont plutôt américaines, n’est-ce pas ?
M. le général Thierry Burkhard. Certes, mais les Européens peuvent développer des solutions technologiques s’ils agissent de concert. Il nous faut trouver des solutions pragmatiques et qui fonctionnent d’un point de vue opérationnel. Mais ces solutions sont également liées aux matériels qui équipent chaque pays. Vous avez bien compris que le ciel européen verra de plus en plus voler des F-35. Ces machines ne fonctionneront pas en architecture ouverte ou avec une technologie européenne.
M. Julien Rancoule (RN). Je reviens sur la question déjà posée lors de l’audition publique au sujet du retrait de nos 1 500 militaires du Niger et, plus globalement, de notre désengagement en Afrique. Pourriez-vous nous dire quelles sont les conséquences de ces choix et évoquer la réorganisation qu’ils impliquent ? Ne craignez-vous pas une diminution de nos capacités d’action, notamment pour nos opérations clandestines ?
M. le général Thierry Burkhard. Notre action en Afrique doit être guidée par un réalisme total. Il faut voir les choses telles qu’elles sont aujourd’hui. Le Niger est le troisième pays le plus pauvre du monde. Depuis plusieurs années, une demi-douzaine de pays occidentaux œuvrent au côté des Nigériens pour leur fournir une aide dans le domaine militaire, mais aussi économique. Je peux en témoigner, nous avons tout fait pour les aider et nous avons obtenu des résultats. Compte tenu de sa situation géographique et de l’instabilité de la région, le Niger s’en tirait plutôt assez bien.
Il faut être conscient des enjeux auxquels nous faisons face en Afrique. Ils concernent notamment la lutte contre le terrorisme et la maîtrise des flux migratoires. En outre, nous devons faire en sorte de ne pas laisser l’influence de nos grands compétiteurs se développer. Mais ces enjeux ne sont pas franco-français, ils concernent au moins les Européens, sinon les Américains. Nous ne pouvons donc pas être les seuls à agir.
Quoi qu’il en soit, nous devons regarder la situation en face. Notre histoire avec le continent africain est spécifique, mais quoi qu’en disent certains, j’estime que nous avons plutôt agi de manière bien attentionnée. Aujourd’hui, en Afrique, tout se joue dans le champ des perceptions. Cela ne signifie pas que nous n’avons plus de véritables cartes à jouer en Afrique. Au-delà du sentiment anti-français qui peut se développer, nous disposons encore de contacts sur place. Nous disposons encore d’une expertise, si nous sommes capables d’y ajouter le filtre du réalisme total. Cependant, nous ne devons plus utiliser les leviers qui constituaient hier nos atouts, mais qui sont aujourd’hui des points de vulnérabilité.
Telle est la réalité, que nous devons comprendre. Nous devons donc être capables d’interagir dans ce nouveau contexte. Nous devons nécessairement prendre en compte les enjeux de la lutte contre le terrorisme, des flux migratoires et de l’influence de nos compétiteurs. Mais il faudra agir de manière très différente.
M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Vous venez d’évoquer la lutte contre le terrorisme, sujet majeur qui n’avait pas été encore mentionné lors de cette audition. Je pense singulièrement au risque représenté par l’organisation Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), au Yémen. Quelles sont les priorités que vous retenez en matière de contre-terrorisme pour les années à venir ?
Mme Anne Le Hénanff (HOR). Le ministre des armées a évoqué à plusieurs reprises la nécessité pour les armées de se transformer, compte tenu des nouvelles menaces qui pèsent sur nous. Dans ce cadre, vous serez confrontés à de nouveaux besoins en hommes, en expertises et en compétences. Simultanément, le ministre a souligné que ces nouveaux besoins nécessitaient sans doute d’alléger certaines pratiques des armées qui n’ont plus lieu d’être. Comment appréhendez-vous les usages, les moyens, les services et ressources qui ne sont plus d’actualité ?
M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Ma question concerne l’Arménie. Lors de son déplacement hier dans ce pays, la ministre des affaires étrangères a fait état d’un engagement fort de la France auprès de l’Arménie, en évoquant notamment la livraison de matériels militaires. Comment le ministère de la défense aborde-t-il ce nouvel enjeu, qui est structurant à bien des égards pour la stabilité de cette région du monde ? Pouvez-vous nous livrer des détails plus précis ? La commission en serait très satisfaite.
M. le général Thierry Burkhard. J’ai bien entendu les propos de la ministre des affaires étrangères, mais également ceux du ministre des armées, qui a évoqué l’engagement de la BITD pour livrer du matériel militaire.
Comme je l’ai déjà indiqué, nous éprouvons un besoin de simplification. Mais il convient de faire attention : à une époque, certains ont considéré que n’avions plus besoin de tels ou tels moyens pour se rendre compte ensuite qu’ils étaient nécessaires, ce qui nous conduit à les rechercher aujourd’hui.
Nous ne nous transformons pas pour la satisfaction de nous transformer. Pour ma part, je me concentre sur la situation stratégique telle qu’elle est, les menaces auxquelles nous sommes confrontés et les missions que nous pouvons accomplir. Ensuite, je m’interroge pour savoir comment nous pouvons être les plus efficaces pour agir, en faisant preuve du plus grand réalisme.
Par exemple, nous n’étions pas foncièrement engagés dans le champ informationnel. Le sujet a désormais été bien identifié, même si je ne prétends pas que nous sommes arrivés au bout de la démarche, notamment parce que ce domaine est en évolution permanente. Nous devons ainsi nous préparer aux conséquences de l’intelligence artificielle générative. Nous avons fait évoluer nos modes d’engagement et devons continuer à les faire évoluer, particulièrement sur la partie relative au réseau multi-senseurs multi-effecteurs (RM2SE) et la manière dont le commandement est organisé.
Si je ne dispose que de leviers pour me transformer militairement parlant, sans prendre en compte les ressources humaines ou les normes, l’efficacité opérationnelle en pâtira. Face aux menaces auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui, les réponses doivent nécessairement être globales. Nous ne pouvons pas nous concentrer uniquement sur le combat « des 300 derniers mètres ».
Enfin, si j’ai longuement parlé de la nouvelle conflictualité, je n’oublie pas que le terrorisme n’a pas disparu. Les phénomènes sont additifs. Le terrorisme au Sahel est bien présent et la situation évolue très rapidement dans cette zone. Le risque d’un grand « trou noir » au milieu du Sahel, que nous redoutions, peut survenir. Il ne s’agit naturellement pas d’une bonne nouvelle et nous allons devoir être capables de gérer cette question.
D’autres foyers de terrorisme existent et la menace Aqpa est réelle, compte tenu de sa capacité en matière de menace projetée. Mais ce danger est malgré tout assez bien pris en compte et la France n’est pas le seul pays au monde à lutter contre le terrorisme. Dans ce domaine également, nous partageons les responsabilités. Dans cette zone précise, d’autres pays sont assez actifs.
M. le président Thomas Gassilloud. Mon général, je vous remercie pour cette audition, qui nous a permis de progresser grandement sur le fond.
Author: Sandy Wright
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